Mesures de lutte contre l’inflation en France et au Royaume-Uni

Sophie Lippmann et Josephine Rendall-Neal, avocates au sein de Fromont Briens | Littler et GQ | Littler vous proposent un bref aperçu des réponses que les gouvernements français et britannique ont récemment mises en œuvre afin de lutter contre les effets de la hausse actuelle de l'inflation en Europe. En France, ce sujet est au cœur de l'actualité dans la mesure où la loi n°2022-1158 portant sur les mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a été publiée le 17 août 2022 au Journal Officiel et est entrée en vigueur le 18 août 2022.

France

Lors de la campagne présidentielle, le gouvernement Macron a pris l’engagement de mettre en place des mesures afin d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.

La loi n° 2022-1158 portant sur les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été publiée le 17 août 2022 au Journal Officiel et est entrée en vigueur le 18 août 2022.

Cette loi contient plusieurs mesures de droit du travail destinées à limiter les conséquences de l’inflation, dont les grandes lignes sont reprises ci-après.

Renouvellement et augmentation de la « prime de partage de la valeur » à partir du 1er juillet 2022

La loi pérennise la prime de pouvoir d’achat, rebaptisée « prime de partage de la valeur » et introduit la possibilité d’accorder cette prime une fois par an en une ou plusieurs fois, dans la limite d’une fois par trimestre.

Pour être exonérée de cotisations sociales, la prime ne doit pas dépasser 3 000 € par salarié et par an. Ce plafond est porté à 6 000 € pour :

  • les entreprises d’au moins 50 salariés ayant mis en place un accord d’intéressement ;
  • les entreprises de moins de 50 salariés ayant mis en place un accord de participation ou d’intéressement.

La loi réduit l’exonération d’impôt sur le revenu ainsi que l’exonération de CSG/CRDSapplicables jusqu’ici à cette prime. Ces exonérations ne s’appliquent dorénavant qu’aux salariés dont le salaire est inférieur à trois fois le SMIC et aux primes versées jusqu’au 31 décembre 2023 uniquement.

Un forfait social spécifique sera applicable à partir du 1er janvier 2024 aux primes de partage de la valeur versées par les entreprises d’au moins 250 salariés. Cette contribution est déjà applicable à ces entreprises lorsque la prime est accordée avant le 1er janvier 2024 à des salariés dont la rémunération est au moins égale à trois fois le SMIC.

Mesures visant à faciliter la mise en place des accords d’intéressement

Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent désormais plus facilement mettre en place un accord d’intéressement par décision unilatérale, cette faculté n’étant réservée jusqu’ici qu’à certaines entreprises de moins de 11 salariés.

La durée des accords d’intéressement a en outre été portée à un maximum de cinq ans, contre trois actuellement.

À partir du 1er janvier 2023, les formalités de contrôle de ces accords seront simplifiées et raccourcies.

Enfin, avant cette date, la loi prévoit que les salariés puissent demander un déblocage exceptionnel et anticipé de l’épargne salariale dans la limite de 10.000 € net de prélèvement sociaux, pour financer l’achat d’un ou de plusieurs biens ou la fourniture d’une ou de plusieurs prestations de service. Les employeurs sont tenus d’informer leurs salariés de cette possibilité dans les deux mois suivant la promulgation de la loi.

Augmentation des minima de salaires fixés par les branches professionnelles

La loi réduit le délai imparti aux organisations patronales pour engager une négociation sur les salaires lorsqu’un ou plusieurs minima conventionnels sont inférieurs au SMIC : le délai actuel de trois mois est ainsi réduit à 45 jours.

L’insuffisance de ces négociations est dorénavant un nouveau motif de fusion entre les branches professionnelles à l’initiative du ministère du Travail.

Déduction forfaitaire des cotisations sociales patronales sur les heures supplémentaires à compter du 1er octobre 2022 dans les entreprises entre 20 et 245 salariés

Pour les entreprises de 20 à 249 salariés, la loi instaure une déduction forfaitaire de cotisations sociales patronales dues sur la majoration de salaire des heures supplémentaires effectuées à compter du 1er octobre 2022.

Cette déduction s’appliquera également aux jours de repos auxquels peuvent renoncer les salariés en forfait-jours en accord avec leur employeur.

Le montant de cette déduction sera fixé par décret.

Augmentation de 4 % de plusieurs prestations sociales à partir du 1er juillet 2022

À partir du 1er juillet 2022, le projet de loi prévoit une augmentation de 4 % de diverses prestations, notamment les prestations de retraite de base., les pensions d’invalidité, le revenu de solidarité active ou encore les rentes AT-MP.

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Le budget de l’ensemble des mesures prévues par cette loi est estimé à environ 20 milliards d’euros.

Ces mesures de lutte contre l’inflation sont par ailleurs complétées par d’autres dispositifs, contenus notamment dans la loi de finances rectificatives pour 2022 également publiée au Journal Officiel le 17 août 2022.

Royaume-Uni

La position du gouvernement britannique sur les salaires et l’inflation est diamétralement opposée à celle du gouvernement français. Néanmoins, certains secteurs ont connu une augmentation des salaires malgré l’absence de soutien gouvernemental, principalement en vue de retenir les talents dans un contexte d’augmentation du coût de la vie.

L’approche du gouvernement en matière d’inflation

Selon le Premier Ministre, l’augmentation des niveaux de salaire au niveau de l’inflation engendrerait une « spirale salaires-prix » et un crash économique catastrophique. Il craint également ce qu’il a qualifié d’ « état d’esprit Covid » au sein du gouvernement qui pousserait vers une augmentation des dépenses publiques liées aux programmes de soutien à l’économie. Le Premier Ministre privilégie une réduction des impôts et des dépenses publiques afin de limiter la crise du coût de la vie ainsi qu’une dérégulation visant à favoriser la croissance.

L’approche du gouvernement en matière d’inflation a été l’un des principaux points de discorde au sein du Parti Conservateur. Alors que Liz Truss préconise une action gouvernementale « audacieuse » incluant des réductions d’impôts en vue de favoriser la croissance économique, pour son adversaire Rishi Sunak, priorité doit être donnée au contrôle de l’inflation. Ce dernier considère que d’importantes réductions d’impôts ne feraient qu’aggraver l’inflation en menant à une crise économique plus longue encore. Les niveaux de salaires se sont avérés être un sujet controversé dans la course au pouvoir – Liz Truss a notamment fait marche arrière ce mois-ci sur une de ses mesures visant à la réduction des salaires des employés du secteur public dans les zones les plus pauvres du pays à la suite d’une vague d’indignation suscitée par cette proposition.

Mesures gouvernementales afin de soutenir les ménages face à l’augmentation du coût de la vie

Le gouvernement britannique a mis en place un certain nombre de mesures pour aider les ménages, qui incluent : 

  • 400£ de réduction sur les factures d’énergie ;
  • des chèques de 650£ pour les ménages à faible revenu, qui s’ajoutent aux 300£ pour les retraités et 150£ pour les personnes bénéficiant d’une aide aux handicapés ;
  • une réduction de 150£ sur la council tax (forme d’impôt foncier britannique) payable sur les propriétés résidentielles de faible valeur ;
  • une réduction de la taxe sur les carburants de 0,5£ par litre afin de réduire le coût du carburant pour les ménages et les entreprises ;
  • l’augmentation du seuil minimum de rémunération à partir duquel les cotisations de la National Insurance (cotisations sociales payables par les employeurs et les travailleurs) commencent à être exigibles.

La réponse des employeurs face à l’inflation

De manière générale, les salaires ont augmenté à un rythme inférieur à celui de l’inflation ce qui, comme en France, mène à une perte de pouvoir d’achat individuel. Selon une étude du Trade Unions Congress britannique, les augmentations de salaire pourraient accuser un retard de 8 % par rapport à l’inflation d’ici à la fin de l’année 2022.

Les employés réclament des salaires plus élevés afin de combler cet écart. L’Angleterre a notamment connu de nombreux mouvements de grève, les employés du secteur ferroviaire, des postes ainsi que les infirmières réclamant des augmentations de salaires. Les grèves de ce type sont inhabituelles au Royaume-Uni ; contrairement à la France, peu d’entreprises disposent de syndicats, de conventions collectives ou d’autres mécanismes officiels facilitant l’action syndicale collective.

Dans la plupart des entreprises britanniques, les négociations salariales sont menées au niveau individuel entre l’employé et son employeur, souvent au moment du recrutement ou au plus tard, sous la menace d’une démission de l’employé. Les secteurs de l’hôtellerie et du transport routier britanniques notamment ont été contraints d’augmenter les salaires en réponse à l’exode de leur main-d’œuvre post-Brexit et durant la pandémie. Dans un marché aussi peu concurrentiel, les candidats voient leur pouvoir de négociation renforcé et ne sont pas disposés à travailler pour un salaire qui ne peut plus leur assurer des conditions de vie raisonnables.

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Les mesures gouvernementales afin de soutenir les ménages face à l’augmentation du coût de la vie en 2022/23 s’élèveront à environ 14 milliards de livres sterling, dont la majeure partie est destinée aux ménages à faibles revenus.

Bien que cela soit susceptible de changer avec l’arrivée d’un nouveau Premier Ministre, aucune législation directement liée aux salaires ou à d’autres formes de rémunération n’est actuellement prévue de la part du gouvernement britannique.