La fusion-absorption d’une société n’aboutit plus nécessairement à l’immunité pénale

Dans l'arrêt de la Chambre criminelle du 25 novembre 2020, promis à une très large publication, la Cour de cassation opère un important revirement de sa jurisprudence en retenant, pour la première fois, la possibilité du transfert de la responsabilité pénale d'une personne morale absorbée à la personne morale absorbante, tout en encadrant strictement ce transfert.

Jurisprudence sociale Lamy, 12 janvier 2021, n°511 – commentaire réalisé par Ludovic Genty et Hadrien Durif

Cass. crim., 25 nov. 2020, pourvoi no 18-86.955, arrêt no 2333 FP-P+B+I

Extraits

Le principe de la responsabilité pénale personnelle est ancien. Dès 1790, l’assemblée nationale constituante décrétait que « les délits et les crimes étant personnels, le supplice d’un coupable, et les condamnations infamantes quelconques n’impriment aucune flétrissure à la famille. L’honneur de ceux qui lui appartiennent n’est nullement entaché, et tous continueront d’être admissibles à toutes formes de professions, d’emplois, et de dignités » (Décret sur la punition des coupables, et sur les suites de cette punition, 21 janvier 1790).

Plus tard, en 1859, la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait également le principe de la responsabilité pénale personnelle (Cass. crim., 3 mars 1859, Bull. crim. no 59).

Ce n’est pourtant que depuis 1994 que le Code pénal a consacré, en son article 121-1, soit le premier traitant de la responsabilité pénale, le principe selon lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».

Le Conseil constitutionnel a accordé à ce principe une valeur fondamentale en l’excipant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (Conseil constitutionnel, décision no 99-411 DC, 16 juin 1999).

L’application de ce principe aux personnes physiques semblait évidente, et a d’ailleurs été qualifiée de « règle fondamentale du droit pénal » par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 28 août 1997, E.L., R.L. ET J.O c. Suisse, no 20919/92). Concernant les personnes morales, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait également pris le parti de faire application de ce principe (Cass. crim., 20 juin 2000, no 99-86.742 ; Cass. crim., 14 oct. 2003, no 02-86.376).

Les faits

En l’espèce, la société Intradis, filiale de la société Recall France, spécialisée dans le stockage d’archives, subissait, en 2002, un incendie, détruisant de très nombreux documents de ses clients.

Le 31 mars 2017, la société Intradis était, à l’issue d’une information judiciaire, poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de destruction involontaire de bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.

Cependant, le 24 juillet 2017, la société Recall France, ainsi que sa filiale Intradis étaient absorbées par la société Iron Mountain.

Dans ces conditions, trois parties civiles faisaient citer la société Iron Mountain à comparaître à l’audience du tribunal correctionnel, qui était par ailleurs intervenue volontairement à la procédure ouverte après information judiciaire aux fins de voir l’action publique déclarée éteinte du fait de la disparition de la société intradis.

Par jugement avant dire droit du 8 février 2018, le tribunal correctionnel fixait le montant des consignations à verser par les parties civiles, et ordonnait un supplément d’information, notamment afin de déterminer les circonstances de l’opération de fusion acquisition.

La société Iron Mountain interjetait alors appel de cette décision.

Le 26 septembre 2018, la Cour d’appel d’Amiens rejetait les prétentions de la société Iron Mountain.