Retraite à prestations définies : une réforme aux conséquences incertaines?

La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, ainsi que les ordonnances prises sur son fondement ont apporté de nombreuses modifications aux dispositifs d’épargne retraite. Si les changements sont assez inégaux dans leur portée, on peut parler d’un véritable bouleversement s’agissant des régimes de retraite à prestations définies.

L’ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019 relative aux régimes professionnels de retraite supplémentaire remet en effet en cause la nature même des régimes de retraite à prestations définies, puisqu’à compter du 1er janvier prochain les droits supplémentaires à prestations ne pourront plus être conditionnels.

Considérée comme un frein à la mobilité des travailleurs entre les États membres de l’Union européenne, la condition, pour l’acquisition de droits à retraite, que les salariés achèvent leur carrière dans l’entreprise ne sera plus possible à compter du 1er janvier 2020.

S’agissant des régimes existants à cette date, cette impossibilité soulève de nombreuses questions tant sur les effets de cette ordonnance que sur les éventuelles actions à mener dans les entreprises disposant de tels dispositifs.

QUID DE LA SUPPRESSION DE LA CONDITION D’ACHÈVEMENT DE LA CARRIÈRE DANS L’ENTREPRISE SUR LES RÉGIMES EXISTANTS ?

Certains régimes ne sont pas concernés par cette suppression de la condition de présence dans l’entreprise à la date de liquidation des droits. Les régimes fermés aux nouvelles affiliations depuis au plus tard le 20 mai 2014 pourront continuer à fonctionner tels quels. Les bénéficiaires qui étaient entrés dans le champ d’application du régime avant la fermeture peuvent continuer à acquérir des droits conditionnels à prestation.

En revanche, concernant les autres régimes, les « nouvelles affiliations » ne sont plus possibles depuis le 4 juillet 2019, date de publication de l’ordonnance. Et plus aucun nouveau droit supplémentaire conditionnel à prestations ne pourra être acquis par les bénéficiaires existants à compter du 1er janvier 2020. La formulation adoptée par le texte soulève des interrogations : que signifie la notion d’affiliation, s’agissant de régimes auxquels aucun salarié n’est adhérent, ni affilié ? Il est probable qu’il faudra traduire cette expression comme visant les salariés qui, le 4 juillet 2019, remplissaient les conditions édictées pour bénéficier de droits à retraite, sous ré- serve qu’ils restent dans l’entreprise jusqu’à ce qu’ils fassent valoir leurs droits à la retraite.

L’ordonnance a donc pour effet de fermer aux adhésions l’ensemble des régimes dit « article 39 » existant et « gèlera » les droits existants à leur niveau atteint au 1er janvier prochain.

Ce gel des droits ne doit cependant pas s’analyser comme ayant pour effet de leur faire perdre leur caractère aléatoire. D’une part, la condition d’achèvement de la carrière dans l’entreprise devra être remplie et, d’autre part, la direction reste libre de dénoncer le régime.

MODIFIER, OU NON, LES RÉGIMES EN PLACE ?

Malgré certains effets « automatiques » de l’ordonnance sur les régimes existants, on peut s’interroger sur la nécessité de les modifier.

Le premier élément qui milite en faveur d’une dé- marche active se trouve être l’engagement des entreprises au titre de ces régimes. Souvent mis en place par une décision unilatérale de la direction, les régimes de retraite « article 39 » constituent de véritables engagements des entreprises envers leurs salariés. Or, l’ordonnance du 3 juillet 2019 ne modifie que les textes régissant les contrats d’assurance sur lesquels ces régimes doivent s’adosser depuis 2010, ainsi que le traitement social des contributions patronales. Il n’est donc pas évident de considérer que cela suffise à faire disparaître ces engagements de manière automatique, en dehors de tout respect du formalisme imposé par le droit du travail. La directive européenne(1) que l’ordonnance a pour objet de transposer allait beaucoup plus loin, mais elle n’a pas d’effet direct en droit français.

Il pourrait ainsi exister un risque de contentieux prud’homal de la part de salariés estimant que leur entreprise ne respecte pas ses obligations conventionnelles en ne maintenant plus le régime de retraite.

En outre, bien que cela ne semble pas être le but de la directive qu’elle transpose, la lecture de l’ordonnance pourrait conduire à considérer que des régimes à droits conditionnels pourront continuer d’exister, mais qu’ils le feront en dehors du cadre de l’article L. 137-11 du Code de la sécurité sociale. En effet, ce texte a pour seul objet de fixer un traitement social au financement par l’employeur des régimes à droits aléatoires.

Enfin, dans certaines hypothèses, ne pas modifier/ dénoncer l’acte de mise en place du régime pourrait conduire, pour le futur, à octroyer aux salariés des droits acquis. Ce sera le cas pour les contrats de retraite professionnelle en cours d’exécution à la date de publication de l’ordonnance qui deviendront, de facto, des régimes à droit acquis.

Il n’existe à l’heure actuelle aucune certitude sur les conséquences de cette ordonnance et les risques évoqués doivent conduire à la prudence. Une ré- flexion doit nécessairement être menée à très court terme sur les actions à entreprendre concernant ces régimes, y compris sur leur remplacement éventuel par un autre dispositif.

(1) Dir. n° 2014/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, relative aux prescriptions minimales vi- sant à accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire – Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE.