La simple visite de l’inspection du travail n’est pas un acte interruptif de prescription de l’action publique
Lors d’un contrôle, l’Inspection du travail constatait qu’une société avait employé des salariés qui avaient effectué des heures complémentaires excédant le maximum légal, et ...
Le 26 février 2015, lors d’un contrôle, l’Inspection du travail constatait qu’une société avait employé des salariés qui avaient effectué des heures complémentaires excédant le maximum légal, et que ces heures complémentaires n’avaient pas été majorées conformément à la législation en vigueur, sur la période courant de janvier à mars 2014, faits qui sont, il convient de le rappeler, constitutifs de contravention de quatrième classe (articles R.3124-8 et R.3124-10 du Code du travail).
L’Inspecteur du Travail, le 1er juin 2015, dressait alors un procès-verbal constatant ces infractions.
Poursuivie devant les juridictions répressives, la société invoquait la prescription de l’action publique pour la période allant du 1er janvier au 31 mars 2014.
La Cour d’Appel de Lyon, dans son arrêt du 20 mars 2018, ne retenait cependant l’exception de prescription que sur la période courant du 1er janvier au 25 février 2014, en estimant que la visite de l’Inspection du Travail au sein des locaux de la société le 26 février 2015 était un acte interruptif de la prescription de l’action publique.
La société formait un pourvoi en cassation, en affirmant que seuls les procès-verbaux dressés par les agents de l’Inspection du Travail interrompaient le délai de prescription de l’action publique, à l’exclusion des simples visites précédant leur établissement.
Dans son arrêt du 21 mai 2019, la Cour de Cassation censure l’analyse des juges du fond et accueille l’argumentation de la société, en indiquant que :
« seul peut être regardé comme un acte d’instruction ou de poursuite, le procès-verbal dressé par l’inspecteur du travail, dans l’exercice de ses attributions de police judiciaire et à l’effet de constater les infractions, à l’exclusion des actes de l’enquête administrative qui en ont constitué le prélude »
La Cour de Cassation retient alors l’exception de prescription, en décidant que le déplacement de l’Inspecteur du travail dans les locaux de la société n’était pas un acte interruptif de la prescription.
Antérieurement à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, portant réforme de la prescription en matière pénale, l’article 7 du Code de Procédure Pénale prévoyait qu’interrompaient la prescription « les actes d’instruction ou de poursuite », sans que ces actes ne soient pour autant définis par la loi.
Outre de rares textes épars, c’est par une élaboration jurisprudentielle qu’ont été définis ces actes d’instruction ou de poursuite.
En effet, de manière classique, la Cour de Cassation a pu considérer qu’« interrompt le cours de la prescription de l’action publique tout acte du procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » (Cass. Crim., 20 février 2002, n° 01-85.042).
Constituent également des actes interruptifs de la prescription de l’action publique les procès-verbaux, dressés par des agents exerçant des pouvoirs de police judiciaire, qui sont considérés comme des actes d’instruction.
Il en est ainsi des procès-verbaux réalisés par les services de Gendarmerie (Cass. Crim., 15 mai 1973, n° 71-93.648), de Police (Cass. Crim., 23 mars 1994, 93-83719), mais aussi par d’autres agents, exerçant des pouvoirs de police judiciaire dans le cadre de leurs attributions, comme les agents des douanes (Cass. Crim., 21 mars 1994, n° 93-82974) ou de la DGCCRF (Cass. Crim., 9 mars 2010, n° 09-84.800).
Plus spécifiquement, en matière de droit pénal du travail, la Cour de cassation a ainsi pu juger que « les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du Travail, dans l’exercice de leurs attributions de police judiciaire, conformément aux dispositions des articles L. 611-1 et L. 611-10 du Code du travail, à l’effet de constater des infractions, doivent être regardés comme des actes d’instruction ou de poursuite » (Cass. crim., 26 novembre 1985, n° 84-93.304 ; Cass. Crim., 17 décembre 1991, n° 90-84.813).
Le législateur a édicté un article 9-2 du Code de Procédure Pénale visant à préciser quels sont ces actes « d’instruction et de poursuite » qui interrompent la prescription de l’action publique.
Ainsi, cet article prévoit désormais notamment que « Tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction » interrompt la prescription de l’action publique.
Sous l’empire de la loi nouvelle, la décision rendue par la Cour de Cassation le 21 mai dernier n’aurait probablement pas été différente.
S’il est certain que l’Inspecteur du Travail est un « agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire », conformément aux articles L.8112-1 et suivants du Code du travail (Cass. crim., 26 novembre 1985, prec. ; Cass. Crim., 17 décembre 1991, prec.), ses actes d’enquête, fort justement qualifiés d’actes d’enquête « administrative » par la Cour de Cassation, et notamment les différentes visites qu’il peut effectuer au sein des entreprises, ne peuvent être considérées comme « émanant du Ministère Public », d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, il les réalise de sa propre initiative.
En définitive, si la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation le 21 mai 2019 n’est pas surprenante, en ce qu’elle s’inscrit dans la construction jurisprudentielle élaborée de longue date et désormais entérinée par le nouvel article 9-2 du Code de Procédure Pénale, sa large publication se veut probablement un rappel aux agents de l’Inspection du Travail (mais également aux autres agents publics ayant qualité à dresser des procès-verbaux), les invitant, lorsque les faits qu’ils constatent sont anciens, à dresser rapidement un procès-verbal pour éviter l’acquisition de la prescription de l’action publique.