Transposition de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte : vers un élargissement de la qualification de lanceur d’alerte et du renforcement de la protection associée

Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alertes et proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte

Laurianne Morette, avocat counsel

Le 23 octobre 2019, le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen ont adopté la Directive 2019/1937 [1]  relative à « la protection des personnes qui signalent des infractions au droit de l’Union ».

En France, la transposition de cette directive se matérialise par la présentation de deux propositions de Loi [2] devant l’Assemblée nationale et au Sénat, lesquelles sont appelées à améliorer le statut du lanceur d’alerte défini en droit national par la Loi Sapin II. [3]

A ce jour, ces deux propositions de Loi ont été adoptées et sont en cours d’examen par le Conseil Constitutionnel, qui devrait rendre son avis avant la fin du mois de mars 2022.

Il est à noter que les dispositions ci-après détaillées font l’objet d’une entrée en vigueur différée à compter du premier jour du sixième mois suivant la promulgation de la loi « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ». [4]

Dans l’attente de la publication de ces deux Lois de transposition et de la parution des décrets d’application, les contours du statut réformé du lanceur d’alerte peuvent d’ores et déjà être appréhendés.

  1. Une qualification de lanceur d’alerte élargie

L’actuel article 6 de la loi Sapin II définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Aux termes de la proposition de Loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alertes, cette définition serait élargie aux personnes physiques « signal[ant] ou divulgu[ant], sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement » [5].

L’auteur de l’alerte n’aurait désormais plus à justifier d’un « désintéressement » mais seulement d’une « absence de contrepartie financière directe ».

En outre, la condition exigée de violation « grave et manifeste » d’une règle de droit serait supprimée.

Ces deux modifications permettraient tout à la fois un élargissement de la définition de l’alerte et de la qualification de son auteur.

L’article 1 de la proposition de Loi poursuit en créant une dérogation tenant à la source de l’information, objet de l’alerte.

Ainsi, « lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance » [6]

Cette dérogation permettrait que des informations rapportées au lanceur d’alerte, non connues de lui-même, constituent une alerte.

Ainsi, toute information, connue de manière directe ou indirecte, relative à la violation ou la simple tentative de violation d’une règle de droit, qualifierait une alerte.

Cet assouplissement des conditions de l’alerte inciterait vraisemblablement à davantage de signalements dont la procédure de recueil et de traitement devrait être facilitée.

  • Une procédure d’alerte facilitée

Afin de se conformer aux exigences de la directive européenne à transposer, la proposition de Loi « visant à améliorer la protection du lanceur d’alerte » supprimerait l’ordre actuel de priorité donnée des canaux de signalement de l’alerte.

Cette proposition de Loi introduirait un libre choix de canal de signalement offert au lanceur d’alerte.

Le signalement auprès de l’employeur ou de ses représentants ne serait plus une condition préalable au traitement externe de l’alerte.

Le signalement par voie interne serait relayé au rang de simple faculté et serait emprunté par le lanceur d’alerte que lorsque celui-ci « estime qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’elle ne l’expose pas à un risque de représailles » [7] .

Selon toute vraisemblance, les salariés lanceurs d’alertes pourraient plus largement faire le choix du canal externe de signalement de leur alerte.

Ces signalements externes seraient émis à destination d’une liste d’autorités compétentes dont le détail fera l’objet d’un décret d’application en Conseil d’Etat à paraître.

Les entreprises ne sont pas pour autant exonérées de l’obligation de mettre en place une procédure interne de recueil et traitement des signalements pour les collaborateurs internes et externes.

Cette obligation, déjà instituée par la Loi Sapin II concernant les entreprises de plus de cinquante salariés, fera l’objet de précisions aux termes d’un décret d’application attendu.

Les entreprises n’ayant pas satisfait à cette obligation sont invitées à suivre avec attention la parution du prochain décret d’application en Conseil d’Etat.

Par ailleurs, la proposition de Loi requiert la désignation d’un référent lanceur d’alerte interne à l’entreprise, lequel aura la responsabilité du recueil et du traitement des signalements.

Enfin, la proposition de loi prévoit que le Règlement intérieur des entreprises devra rappeler l’existence du dispositif de lanceur d’alerte [8].

L’objectif d’incitation au signalement ne saurait être atteint sans le renforcement du régime protecteur offert au lanceur d’alerte.

  • Un renforcement de la protection du lanceur d’alerte et de son entourage professionnel et personnel  

Le lanceur d’alerte bénéficie d’ores et déjà d’une protection contre les mesures de représailles, de menaces ou de tentatives de recourir à des mesures de licenciement et/ou de sanctions.

La proposition de Loi renforce cette protection du lanceur d’alerte en érigeant au rang de mesures interdites « [le] préjudice, y compris les atteintes à la réputation de la personne, en particulier sur un service de communication au public en ligne, ou pertes financières, y compris la perte d’activité et la perte de revenue » [9].

Si l’élargissement de la protection est à saluer, l’appréciation de la notion de préjudice pourrait conduire à des difficultés d’interprétation et d’application.

Cette large protection serait désormais étendue à de nouveaux bénéficiaires appartenant à l’entourage professionnel ou personnel du lanceur d’alerte.

L’article 2 de la proposition de Loi offrirait une protection identique à celle des lanceurs d’alertes aux « facilitateurs, entendus comme toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation (…) » et aux « personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte (…) qui risquent de faire l’objet de l’une des mesures mentionnées dans le cadre de leurs activités professionnelles de la part de leur employeur, de leur client ou du destinataire de leurs services » [10].

Ce régime protecteur pourrait ainsi bénéficier aux organisations syndicales, aux associations, à l’entourage professionnel du collaborateur, aux membres représentatifs du personnel…

Aucune durée associée à cette protection n’est toutefois prévue par les dispositions législatives en cours de promulgation, ce qui laissera une marge d’appréciation aux juges saisi d’éventuels litiges.

* * *

Sous l’influence du droit européen, les propositions de Loi traduisent la volonté du législateur national de conférer un statut privilégié au lanceur d’alerte.

Les dispositions législatives dépassent les exigences européennes et démontrent un réel engagement de la France pour protéger le lanceur d’alerte.  


[1] La Directive UE 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalement des infractions au droit de l’Union, entrée en vigueur le 16 décembre 2019.

[2] Proposition de Loi organique n° 4935  « visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte » 

  Proposition de Loi ordinaire n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alertes »

[3] Loi dite « Sapin II » du 9 décembre 2016 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique – Chapitre II, articles 6 à 16

[4] Article 18 de la proposition de Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[5] Article 1 de la proposition de Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[6] Article 1 de la propositionde Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[7] Article 3 de la proposition de Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[8] Article 4 de la proposition de Loi n°4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[9] Article 5 de la proposition de Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »

[10] Article 2 de la proposition de Loi n° 4398 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte »