Se prémunir contre le harcèlement moral managérial

Les Dirigeants et Responsables des Ressources Humaines prennent conscience que le Manager ne peut plus être le gestionnaire opérationnel d’antan faisant remonter les problématiques sociales individuelles rencontrées au service dédié, il est devenu un acteur de proximité clef dans le déploiement de la stratégie sociale arrêtée, qui doit être valorisé dans sa relation professionnelle avec les autres collaborateurs et acteurs de l’entreprise.

Il est indispensable de donner aux managers les outils leur permettant d’utiliser de manière proportionnée le pouvoir de direction qui leur est délégué puisque la responsabilité de tout excès quel qu’il soit – autoritarisme, laxisme, passivité – pèse in fine sur l’employeur.

» Ces constats doivent être appréhendés à la lumière des conséquences pratiques de l’actualité légale en matière de condamnation prud’homale.

En effet, les demandes contentieuses visant à faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral entourant le contexte de la rupture, si elles sont favorablement accueillies, permettent de s’affranchir du « barème d’indemnisation Macron » issu des Ordonnances du 22 septembre 2017 et récemment conforter par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation (et d’obtenir la nullité de la rupture et des dommages et intérêts d’un montant minimum équivalent aux six derniers mois de salaires).

Dans ce contexte, il est impératif de préparer les managers – aussi bienveillants soient-ils – à l’épreuve d’une dénonciation d’une situation de harcèlement moral, dont l’entreprise porte la responsabilité.

L’exercice proportionné du pouvoir de diriger les collaborateurs

Organiser l’activité

Le Manager doit être attentif. Il doit réussir à identifier les facteurs de risque qui pourraient faire basculer un comportement ou une situation vers un harcèlement – établi ou ressenti.

Les facteurs de risques

La répartition claire des missions et objectifs de chacun dans le projet professionnel commun est non seulement un facteur de productivité déterminant mais permet également que les collaborateurs ne perdent pas de vue le sens de leur activité.

Toutefois, alors que le manager œuvre à donner du sens au travail de ses équipes et à créer une motivation de groupe dynamique, il peut facilement se laisser déborder par son propre enthousiasme – ou par la pression que l’on fait peser sur lui – et laisser la place à une charge de travail excessive.

Si une situation de surcharge de travail peut être complétement subi par le collaborateur, il faut aussi réussir à détecter la situation de surcharge à la création de laquelle sa victime participe.

Pour éviter cet écueil, il est impératif que l’encadrement se saisisse de la question du temps de travail et prenne la responsabilité de communiquer sur les excès, aussi rémunérateurs soient-ils.

Enfin, la communication du manager doit être exemplaire, il n’est pas question de céder à la tentation de l’instantanée qui pousse à l’adoption d’un vocabulaire qui n’est pas toujours professionnel (directif, familier, dépourvu de toute politesse élémentaire, …), et qui, hors contexte, déshumanise la relation professionnelle.

Surtout, les échanges de courriels diffusés au plus grand nombre à toute heure du jour ou de la nuit sont clairement source de stress pour certains salariés qui n’arrivent pas à « déconnecter » et, en tout état de cause, sont de nature à étayer de manière particulièrement efficace les situations de harcèlement liées à une surcharge de travail, brisant l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, avec à la clef des condamnations à des rappels d’heures supplémentaires significatives.

Il appartient à l’entreprise d’accompagner ses managers dans la maitrise de cette flexibilité, notamment à travers la conclusion d’accords de déconnexion, de télétravail ou encore de bien-être au travail, qui doivent imposer aux différents acteurs des limites déterminées et adaptées à l’activité et à l’organisation du travail de l’entreprise.

La to do list de l’organisation du travail par le Manager

Evaluer les performances

L’enjeu de l’entretien annuel d’évaluation est de taille car s’il permet de déceler des signaux d’alerte ou de faire le lien entre la performance du collaborateur et son mal-être dans l’entreprise, il peut également être vécu comme une critique excessive et injustifiée de la performance ou du comportement et avoir ainsi un impact direct sur la santé du salarié.
Pour le manager, l’enjeu est d’être en mesure de documenter sérieusement et objectivement les difficultés rencontrées par le collaborateur pour échapper à toute caractérisation d’une situation de harcèlement moral.

Afin d’objectiver une situation d’échec ou de difficultés, il est d’abord impératif que le collaborateur ait disposé d’une fiche de poste précise et actualisée et qu’il se soit vu fixer des objectifs concordants avec les moyens de travail mis à sa disposition.

Feuille de route de l’entretien d’évaluation :

> Dire la vérité ;

> Rester positif ;

> Eviter toute brusquerie ;

> Être objectif ;

> Être à l’écoute ;

> Renforcer l’auto-positionnement, responsabiliser et rendre acteur de l’évaluation ;

> Être transparent sur les modalités d’évaluation ;

> Valoriser les axes de développement ;

> Fixer clairement les objectifs à atteindre.

Sanctionner les comportements fautifs

Sous la réserve des circonstances vexatoires dans lesquelles pourraient intervenir la sanction, l’utilisation injustifiée du pouvoir disciplinaire n’est pas en elle-même constitutive d’un harcèlement moral.

Dans ce contexte, il est d’autant plus impératif de documenter le dossier disciplinaire du collaborateur à l’égard duquel une sanction est envisagée afin d’être non seulement en mesure de justifier du comportement fautif, mais également de démontrer qu’en tout état de cause la sanction prononcée n’a pas pour objet de porter atteinte à la dignité et aux conditions de travail de celui-ci.

Lorsque la dénonciation d’un harcèlement moral intervient alors que le collaborateur est encore en poste, il est impératif de la traiter – que celle-ci soit présumée faite de bonne ou de mauvaise foi par l’employeur.

En effet, toute sanction intervenant dans un contexte où le collaborateur a dénoncé l’existence d’un harcèlement dont il serait victime, expose l’employeur à voir établi un lien de cause à effet entre la situation dénoncée et la sanction prononcée.

A défaut de traiter les allégations et de caractériser objectivement la réalité des faits dénoncés, il appartiendra à l’employeur de plaider la dénonciation de mauvaise foi dont on sait qu’elle est quasi impossible à démontrer puisque qu’il devra réussir à justifier que le collaborateur savait que les faits qu’il dénonçait étaient faux, l’intention étant de rechercher une protection.

Le Chef d’entreprise doit désormais impérativement assimiler le fait qu’il ne confie pas seulement la gestion opérationnelle d’une équipe à un manager mais qu’il fait peser sur ses épaules une responsabilité de coordinateur des énergies positives comme d’identificateur des situations déviantes. Pour relever ce challenge avec succès, il est absolument exclu de laisser le manager œuvrer seul. Pour être en mesure de savoir quel comportement est déviant et d’identifier les facteurs de risques, le manager doit impérativement être formé, accompagné et soutenu.

Le rôle déterminant de la formation des managers

L’arrêt Air France a mis fin à la bien connue obligation de sécurité de résultat de l’employeur qui avait pour conséquence d’engager la responsabilité civile de ce dernier dès l’instant où une situation de harcèlement moral était constituée, peu important les mesures de prévention et de réaction mises en œuvre : désormais sa responsabilité ne sera pas engagée s’il justifie avoir pris toutes les mesures de préventions nécessaires et avoir réagi immédiatement après avoir été informé de l’existence de faits susceptibles de caractériser un harcèlement, afin de le faire cesser.

L’enjeu de la prévention est désormais de taille puisqu’en cas de caractérisation d’une situation de harcèlement moral, l’engagement de l’entreprise sur ce terrain sera de nature à lui éviter de devoir supporter l’indemnisation de l’annulation d’une sanction, d’un préjudice distinct ou d’une prise d’acte de la rupture, ou encore les conséquences financières de la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Afin d’œuvrer au soutien des managers, le Chef d’entreprise doit assumer et afficher une politique d’entreprise de prévention et de répression de toutes situations anormales de travail relevant notamment du harcèlement moral.

Cela doit passer par l’affichage des dispositions légales définissant et prohibant les faits de harcèlement moral, mais également par la sensibilisation de tous les acteurs de l’entreprise afin que chacun connaisse et puisse jouer efficacement son rôle de régulateur, d’accompagnateur, ou disciplinaire : la Direction, le service des Ressources Humaines, les Managers, les Représentants du Personnel, le Médecin du travail, et encore la communauté des salariés.

Feuille de route du traitement d’une dénonciation d’un harcèlement moral

Impératif de traiter chaque dénonciation

> Diligenter une instruction de la plainte par l’organisation d’une enquête ;

> Conserver la maitrise de l’instruction si l’employeur est le seul destinataire de la plainte ;

> Associer un Représentant du Personnel si le CSE est également destinataire de la plainte (à défaut vous pouvez décider de leur transmettre une simple information) ;

> Informer le salarié qui a dénoncé les faits ainsi que les autres acteurs destinataires de la plainte (Inspecteur du Travail, Médecin du Travail, …) des modalités de son traitement ;

> Déterminer, le cas échéant de manière collégiale, les modalités de l’enquête (la composition de la délégation, la liste des personnes à interroger, le calendrier et le lieu des auditions…) ;

> Matérialiser l’enquête par un compte rendu de chaque audition signée par l’ensemble des parties présentes ;

> Conclure l’enquête avec la caractérisation objective de la situation ;

> Déterminer un plan d’action, le cas échéant.

Remarque : Au cours de son enquête, l’employeur devra donc réussir à s’assurer de l’accord des salariés pour que leur témoignage (identifié) soit le cas échéant produit en justice, au risque d’engager sa responsabilité . Et dans le cas où les collaborateurs refuseraient que leur identité soit dévoilée dans le cadre des comptes-rendus d’audition, il devra avoir en tête que les témoignages anonymes qu’il aura obtenus ne seront pas à eux seuls de nature à justifier valablement, dans le cadre d’un contentieux, de la décision arrêtée.