Covid-19 – Situation des travailleurs frontaliers en Suisse et France

Décryptage des annonces gouvernementales sur le plan social


La pandémie de COVID-19 est une crise sanitaire de grande ampleur.

Si elle constitue un défi sans précédent pour nos sociétés et nos économies, elle est source d’inquiétudes au quotidien pour nos entreprises et nos travailleurs.

Le Conseil fédéral suisse a décrété le 16 mars 2020, l’état de « situation extraordinaire » au sens de la loi sur les épidémies. Les règles sont désormais identiques dans tous les Cantons.

En France, la Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19, publiée le 24 mars 2020 au Journal officiel, prévoit un « état d’urgence sanitaire ».

La France et la Confédération suisse ont réintroduit des contrôles aux frontières, ce qui heurte frontalement la notion même de « travailleur frontalier ».

Dans un tel contexte, nous pouvons nous réjouir du fait que les Autorités françaises et suisses ont annoncé avoir pris des mesures coordonnées.

Elles assurent notamment que la situation particulière des nombreux travailleurs frontaliers sera pleinement prise en compte et que leurs droits seront garantis dans cette période exceptionnelle.

Vous trouverez, ci-après, notre décryptage des annonces en matière sociale (hors fiscalité).

Voir :

Communiqué conjoint – COVID-19 : situation des travailleurs frontaliers du 19.03.20 (https://www.diplomatie.gouv.f)

Questions/réponses pour les entreprises et les salariés publié dans le cadre de la crise épidémique coronavirus – COVID-19. (https://travail-emploi.gouv.fr)





Sur la circulation des salariés frontaliers

En raison des mesures de confinement décidées en France et en Suisse pour endiguer la propagation du virus, les déplacements transfrontaliers doivent être réduits au strict et nécessaire minimum.

Les entreprises françaises et suisses doivent faire bénéficier les salariés frontaliers des mêmes dispositions que les autres salariés, s’agissant des possibilités de recourir au télétravail.

En France, le télétravail est désormais impératif pour tous les postes qui le permettent.

Côté Suisse, l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) recommande l’usage généralisé du télétravail quand cela est possible.

En l’absence de télétravail, les salariés frontaliers doivent justifier de l’autorisation permanente émise par leur employeur ou les laissez-passer spécifiques octroyés par les autorités nationales.

En France, les mesures édictées par le Décret n°2020-293 du 23 mars 2020, et applicables pour l’instant jusqu’au 15 avril 2020, s’appliquent pleinement aux travailleurs frontaliers.

Les ressortissants Suisses, résidents suisses et exerçant une activité professionnelle en France doivent obligatoirement justifier d’une attestation de déplacement dérogatoire et d’un justificatif de déplacement professionnel signé avec le cachet de leur entreprise.

Les forces de l’ordre exercent des missions de contrôle fixe et dynamique sur l’ensemble du territoire français et les amendes ont été alourdies.

S’agissant des ressortissants Français, résidents français, et exerçant une activité professionnelle en Suisse, ils doivent obligatoirement circuler en permanence avec leur permis de travail frontalier (permis G) afin de pouvoir dûment justifier de leur occupation en Suisse.

Il leur est recommandé d’en conserver des copies à leur domicile et sur leur lieu de travail, pour éviter des blocages, notamment en cas de perte ou de vol du document.




Sur la protection sociale des salariés frontaliers


Les Autorités françaises et suisses ont confirmé que la situation de télétravail rendue nécessaire pendant l’épidémie de COVID-19 n’aura pas d’impact en matière de couverture sociale.

Cette clarification est importante.

En effet, le télétravail du salarié frontalier résident français va occasionner de facto un accroissement du temps passé sur le territoire français.

Son activité professionnelle va même être exercée exclusivement en France, pour une période, certes temporaire (nous l’espérons tous), mais dont personne ne sait aujourd’hui le véritable terme.

Or, nous savons que le principe de territorialité est essentiel pour déterminer le régime de sécurité sociale applicable.

Concrètement, sur l’année 2020, le salarié frontalier résident français et en situation de télétravail pendant la crise, aura exercé son activité dans deux pays (la France et la Suisse).

L’article 13 du Règlement européen n°883/2004 dispose que toute personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États (membre de l’UE, l’EEE ou la Suisse) est soumise à la législation de l’État de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre.

Dans le cadre d’une évaluation globale, l’activité salariée est dite « substantielle », lorsqu’elle représente au moins 25 % du temps de travail et/ou de la rémunération du salarié (article 14 du Règlement européen d’application n°987/2009).

Ce seuil de 25% sera apprécié de manière souple pendant cette période exceptionnelle, nous disent les autorités françaises.

Le travailleur frontalier résident français qui exerce son activité en temps normal en Suisse pourrait donc continuer d’être affilié et de jouir du régime de sécurité sociale suisse en application du Règlement européen n°883/2004.

Son lieu habituel de travail resterait « fictivement » la Suisse. La période de télétravail serait neutralisée pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre.

De la même manière, l’employeur en Suisse ne devrait donc pas encourir un risque de redressement en cas de contrôle de l’URSSAF.

Attention toutefois à pouvoir justifier que le télétravail n’était pas une situation qui préexistait avant l’épidémie de COVID-19, et qu’il a été uniquement mis en place en application des instructions et/ou recommandations nationales.

Dans une telle hypothèse, le télétravail ne constitue pas un « arrangement » pour éluder le régime de sécurité sociale français, mais correspond bien à une situation imposée et subie, tant par l’employeur que le salarié, du fait des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de COVID-19.




Sur les droits sociaux des salariés frontaliers


En France, la Ministre du travail et la Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes ont également précisé avoir reçu l’assurance de leurs homologues respectifs, qu’en cas de mesure préventive prise par une entreprise Suisse demandant à un salarié frontalier français, de ne pas se rendre sur son lieu de travail, « la totalité du salaire sera maintenue ».

Et ce, même s’il n’est pas possible de mettre en place le télétravail avec l’intéressé.

Dans son Questions/Réponses récemment mis à jour, le Gouvernement français est affirmatif sur cette garantie, mais sans en préciser le fondement.

A notre connaissance, il serait fait ici application des dispositions de l’article 324 du Code des obligations suisse. Il convient, néanmoins, d’être prudent quant à l’application particulière et inédite de dispositions qui ne relèvent pas de notre ordre juridique, et de l’interprétation que pourraient en faire les tribunaux.

Lorsqu’une prestation de compensation pour la garde des enfants – en raison de la fermeture des structures d’accueil – existe dans l’État d’activité, le salarié frontalier doit en bénéficier de la même façon.




Sur l’éligibilité des frontaliers au chômage partiel


Afin de limiter les ruptures de contrats de travail, tant le Gouvernement français que le Conseil fédéral suisse, ont pris des mesures exceptionnelles pour soutenir les entreprises, notamment en mobilisant, adaptant et élargissant l’outil de chômage partiel.

En France, les entreprises qui font une demande pour bénéficier du dispositif exceptionnel d’activité partielle (réformé par le Décret n°2020-325 du 25 mars 2020), peuvent inclure les salariés frontaliers résidents suisses, dans les mêmes conditions que les salariés résidents français. L’employeur en France n’a donc pas besoin de recueillir leur accord, même s’ils sont salariés protégés.

Néanmoins, il convient de rappeler que pour bénéficier du régime français de l’activité partielle, l’établissement doit être soumis au Code du travail, notamment à la législation française sur la durée et temps de travail. Le salarié doit posséder un contrat de travail de droit français.

En Suisse, certaines entreprises pourront bénéficier de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) prévue par la Loi fédérale sur l’assurance-chômage, LACI (articles 31 et suivants). Les frontaliers résidents français sont éligibles à la RHT dans les mêmes conditions que les salariés résidents suisses (par exemple, sur la question du consentement des intéressés etc.).

Enfin, notons sur ce sujet, que la Commission européenne va accélérer l’élaboration de sa proposition législative concernant un régime européen de réassurance chômage.

Le régime serait axé en particulier sur le soutien des politiques nationales visant à préserver l’emploi et les compétences, par exemple par les dispositifs de chômage partiel, et/ou sur la facilitation, pour les chômeurs, du passage d’un emploi à un autre.




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Les services de l’Etat ainsi que les ambassades et services consulaires sont, en principe, mobilisés pour s’assurer de la bonne mise en œuvre de ces garanties.

Toutefois, ces mesures et assouplissements, a priori coordonnés, n’ont pas encore fait l’objet d’une transcription dans des textes contraignants, et à tout le moins opposables aux différentes administrations et caisses.

En cas de difficultés d’application, n’hésitez naturellement pas à nous contacter.

Prenez soin de vous, de vos proches et de vos salariés, et soyez optimistes des deux côtés de la frontière !




Thomas BAUDOIN

Avocat of Counsel, Fromont-Briens

thomas.baudoin@fromont-briens.com





Liens utiles :

Attestation de déplacement dérogatoire et justificatif de déplacement professionnel (https://www.interieur.gouv.fr)

Office Fédéral de la Santé Publique OFSP – Nouveau coronavirus – recommandations pour les milieux professionnels (https://www.bag.admin.ch)

CLEISS – Application des règlements (CE) 883/2004 et 987/2009 dans les relations entre la Suisse et les États membres de l’Union européenne (https://www.cleiss.fr)